Sophie Sauvage à gauche sur la photo, à l’occasion de l’annonce d’un partenariat unique avec le Club América et l’OL Reign / ©OL

OL Féminin, OL Reign : à la rencontre de Sophie Sauvage

Un chantier immense, une détermination à toute épreuve. Sophie Sauvage qui représente l’Olympique lyonnais, à travers OL Reign, dans les instances de la NWSL (ligue professionnelle américaine de soccer féminin) ne se fait pas prier pour dire tout le bien qu’elle pense du football féminin. Et, en coulisses, elle ne ménage pas ses efforts afin que le football féminin poursuive son essor en France. Une partie difficile, mais que Sophie Sauvage entend bien gagner.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant d’arriver à l’OL ?

Sophie Sauvage : Je suis passionnée de sport depuis toujours… Petite, je jouais au foot avec mon père et mon cousin, mes frères quand ils voulaient bien, mais ils n’étaient pas très passionnés. Comme il n’y avait pas vraiment de clubs de foot pour les petites filles, j’ai joué au tennis…. Je voulais absolument travailler dans le sport d’une manière ou d’une autre. Au départ, je voulais être journaliste sportive, mais j’ai fait des études d’école de commerce. Quand la question de commencer à travailler s’est posée, finalement, je suis allée dans un fonds d’investissement et ensuite dans des fusions-acquisitions. Dans mes activités de fusions-acquisitions, j’ai vendu une société à Cegid (société créée par Jean-Michel Aulas) et dans la foulée Jean-Michel Aulas m’a parlé du projet qu’il avait pour l’Olympique Lyonnais, de levées de fonds. Évidemment, j’étais hyper intéressée pour essayer d’accompagner le projet. Je l’ai fait et c’est là que Pathé est rentré au capital en 1999. Ensuite, j’ai travaillé sur une deuxième levée de fonds en 2003-2004 où on a fait rentrer plusieurs entrepreneurs de la région au capital de l’OL. C’était le club des 20 à l’époque, si je ne me trompe pas. Puis, en parallèle, j’ai travaillé en Angleterre sur différentes études qu’on avait faites, notamment pour la ligue professionnelle où on essayait d’alimenter la ligue en comparaison de stratégies de négociations des droits TV. Ça, c'était jusqu’en 2004, après, j'ai fait complètement autre chose, particulièrement des fusions-acquisitions (toujours) en cabinet ou en entreprise.

Puis mon histoire avec l’OL repart début 2019 avec le projet OL en NWSL qui prend corps. Je voulais absolument postuler pour mener cette mission qui était passionnante et qui correspondait avec mon savoir-faire de conseils en fusions-acquisitions. Donc j’ai fait le pied de grue auprès de la direction du club pour avoir la mission. J’ai démarré cette mission avec enthousiasme et j’avais l’impression d’être dans une sorte de monde parfait et qui correspondait à mes aspirations personnelles. C’est une aventure qui a commencé là et qui se poursuit.

Justement, quel est votre rôle au quotidien pour l’OL Reign ?

Je représente l’OL dans les instances de la NWSL puisque, quand on a racheté le club, on est aussi devenu coactionnaires de la NWSL avec les autres clubs et donc on a une place au board que j’occupe depuis début 2020. Je travaille aussi avec les équipes d’OL Reign sur tous les projets stratégiques qu’on peut avoir. On en a eu pas mal puisque depuis 2020 on a d’abord fait face à des situations compliquées avec la Covid, comme tout le monde. Mais on a ensuite souhaité relocaliser l’équipe à Seattle comme on jouait à Tacoma dans un stade de baseball qui n’était vraiment pas optimisé alors, il fallait travailler sur ce sujet. Pour 2023, on va faire un grand pas avec l’amélioration de nos conditions d’entraînements parce qu'on va déménager complètement de Tacoma et se rapprocher là aussi de Seattle. En 2024, on va reprendre les installations actuelles de l’équipe de MLS des Sanders qui, eux, construisent un nouveau centre. Ça fait pas mal de projets d’évolutions au niveau du club. La ligue a pris beaucoup de temps aussi parce qu’on a été confrontés, au-delà de la Covid, à tous les sujets de scandales, de harcèlement, voire d’abus sexuels en 2021 À ce moment-là, j’ai eu un rôle un peu particulier, car il a fallu nommer en catastrophe un comité exécutif de la ligue. On a ainsi nommé un comité de trois personnes du board, dont moi. Pendant un mois, on a géré la crise toutes les trois avec la propriétaire de Kansas City et l’ex-dirigeante d’Orlando. Ça a été du 24 heures sur 24 durant trois semaines et une expérience assez incroyable.

Et pour l’OL féminin ?

Mon rôle est quasiment inexistant et très limité. Je n’ai pas de position officielle à l’OL Féminin. Ce que j’essaye de faire, c’est de partager l’expérience qu’on a aux États-Unis et qui est très spécifique puisque, aux États-Unis, on a un club qui est uniquement féminin alors qu’ici, on a l’ensemble des infrastructures de l’équipe masculine et de l’équipe féminine. Mais on doit, aux États-Unis, construire un business seulement autour de l’équipe féminine et ça nous force à travailler le produit de l’équipe féminine. C’est une démarche qui est très structurante et très intéressante et que j’essaye de partager avec les équipes ici parce que j’en vois les bénéfices et les atouts, de travailler l’image de l’équipe, son marketing, d’une façon à développer la génération de revenus liés à l’équipe féminine, donc je trouve que c’est un apport qui peut être stratégiquement intéressant. 

"Ce qui s’est constitué à l’OL, c’est vraiment une culture de la gagne"

Quel est votre regard sur l’évolution de l’OL féminin, vous qui avez connu les débuts ?

Sportivement, c’est tout à fait exceptionnel. Je pense qu’il ne faut jamais se dire que c’est facile d’être championne de France autant de fois, c’est vraiment très très très difficile chaque année de se réengager et de se dire : "on va reconquérir et sur-reconquérir le titre." L’opposition devient de meilleure qualité. On voit bien que, depuis 2004, ce qui s’est constitué à l’OL, c’est vraiment une culture de la gagne et puis une capacité à transmettre cette culture qui est exceptionnelle. Avec Sonia (Bompastor) comme coach et Camille (Abily) dans le staff et puis évidemment Wendie (Renard),  qui fait la continuité depuis toutes ces années et de plus en plus de joueuses de l’académie. C’est quelque chose de très solide qui a été construit et ça me semble très admirable. Moi, je vois énormément de valeurs dans cette équipe et j’ai très envie que ça se structure progressivement, qu’on soit assez rapidement à la création d’une ligue professionnelle pour que justement, tous les efforts qui ont étés engagés par l’OL et aussi par d’autres clubs maintenant soient mieux valorisés. Je pense que cette étape de structuration est très importante et qu’on va y arriver. 

Il y a ceux qui disent qu’il faut attirer les fans du foot masculin vers le foot féminin et d’autres qui disent que ce sont des publics différents et qu’il faut aller chercher d’autres personnes. Quel est votre avis ?

Je pense que les deux sont vrais, en fait. Toutes les études démontrent qu’il y a une certaine proportion des fans de foot masculin qui sont aussi fans de foot féminin. Alors, ils sont aussi intéressés, voire fans de foot féminin, donc, si on prend l’exemple de l’OL, j’essaierais d’intéresser la famille déjà parce qu’il n’y a pas de raison. L’équipe féminine fait partie de la famille, les fans font partie de la famille, il y a peut-être une connexion à créer et à travailler. Après, je pense que, compte tenu de ce que porte le foot féminin, il y a une capacité à aller chercher un public différent et je pense qu’il faut essayer de réfléchir à ce dont il a besoin pour le faire venir et sûrement que c’est un peu plus d’entertainment autour des matchs, des choses pas très compliquées, des animations pour les enfants ou ce genre de choses qui font que les gens viendront.

On a des communautés très engagées autour du foot féminin et c’est un peu le point de rassemblement. Il y a des messages d’égalité, d’ouverture, d’inclusion. Les droits des femmes ce n’est pas un acquis, c’est quelque chose pour lequel il faut toujours se battre et donc on peut aussi travailler autour de ça.

Il faut intéresser la famille du foot et aller chercher au-delà. L’autre point qui est très important, à mon avis, c’est que les joueuses elles-mêmes sont des personnalités exceptionnelles. Elles sont multidimensionnelles, elles sont sportives, elles sont des femmes engagées. On le voit dans la manière qu’elles ont d’utiliser leurs plateformes, leurs réseaux sociaux. Je trouve que c’est très riche et je pense qu’elles créent des connexions très particulières aussi parce que comme les médias ne s’intéressent pas au foot féminin, les joueuses qui sont très intelligentes ont trouvé un moyen de créer la relation avec les fans. Du coup, il y a tout cet écosystème à travailler pour amplifier l’affluence autour des matchs et plus généralement l’intérêt.

Le "football féminin ce n’est pas terrible", "c’est lent"… Ces remarques-là, vous les entendez ou cela vous agace ?

Je ne trouve pas ça très intéressant comme critiques. En fait, ceux qu’on a envie d’intéresser, sont ceux qui s’y intéressent. J’avoue que quand je lis les critiques sur certains forums, je me dis que je ne veux pas aller chercher ces gens-là. Ça ne les intéresse pas, ce n’est pas très grave. Moi, j'ai besoin de trouver 20 000 personnes et, qu’à terme, je les retrouve dans le stade à tous les matchs et je pense que si certains trouvent que c’est trop lent et que ce n’est pas intéressant, tant pis pour eux. Je préfère essayer de convaincre ceux qui sont intéressés un petit peu ou ceux qui ne connaissent pas, plutôt que d’aller chercher ceux qui passent leur temps à dénigrer sans raison valable, à mon avis.

"La création d’une ligue professionnelle avec des équipes dédiées, c’est ce qui va faire la différence."

Au niveau des fans de football féminin, n’y a-t-il pas un plafond de verre ?

Je pense qu’il n’y a aucun plafond de verre qui soit brisable (rires). Je vais repartir de l’expérience américaine parce que c’est quand même hyper intéressant. On est arrivés dans cette ligue qui était fin 2019-début 2020, une toute petite ligue avec une vingtaine de salariés. C’était plutôt compliqué, une ligue pas encore très stabilisée, des propriétaires qui s’étaient engagés avec une envie de le faire parce que c’était bien, parce qu’ils aimaient ça, etc. Mais il n’y avait pas encore de logique économique très structurée. Là encore, c'est le côté visionnaire de notre président (Jean-Michel Aulas) qui se manifeste, mais j’ai l’impression qu’en rachetant une équipe en 2020, on a donné une espèce d’élan à toute une nouvelle génération de propriétaires. La quasi-totalité des clubs a soit changé de propriétaire, soit fait rentrer de nouveaux investisseurs. Là, deux clubs sont en vente, notamment à cause des problèmes d’abus, Portland c’est officiel et je crois que Chicago est en vente. Tous les clubs ont restructuré leur actionnariat, soit en totalité, soit partiellement, et la typologie des investisseurs n’est plus du tout la même. Il y a le cas de Los Angeles qui a agrégé des investisseurs de la tech, des stars du cinéma, du sport….

Il y a des milliardaires d’autres sports américains qui ont investi, par exemple San Diego qui appartient à un principal actionnaire qui s’appelle Ron Burkle, qui a aussi une équipe de NHL. Celui qui a racheté l’équipe de MLS d’Orlando et celle de la NWSL en même temps a une équipe de NFL. À New York, il y a des gens comme Kevin Durant (basketteur NBA). Il y a Naomi Osaka (joueuse de tennis) aussi. Tous ceux-là mettent de l’argent donc la ligue n’a plus rien à voir et c’est assez impressionnant. Au sein de la ligue, on a recruté des profils pour gérer la partie sportive et la partie marketing ; ce sont des gens qui ne seraient jamais venus en 2020. Même en France, il y a des clubs qui font des efforts et la commission (au sein de la FFF) qui est présidée par notre président (Jean-Michel Aulas), travaille d’arrache-pied pour faire évoluer les choses.

L’idée est de créer une ligue professionnelle ?

Je n’ai aucun doute sur le fait qu’on va arriver à la création d’une ligue professionnelle et je n’ai aucun doute non plus que la structuration du foot professionnel féminin est l’élément clé qui permettra aux partenaires de s’engager parce qu’actuellement, c’est un peu compliqué. On a une compétition organisée par la fédération, mais qui n’est pas une vraie plateforme, et la création d’une ligue professionnelle avec des équipes dédiées, c’est ce qui va faire la différence. C’est ce qui fait la différence aux États-Unis, avoir des équipes dédiées à tous les niveaux ; c’est-à-dire quand on prend le club d’Angel City qui a signé 35 millions de partenariats sur leur première année d’exploitation, ce qui fait 10 millions par an à peu près, car ils signent pour plusieurs années, ils ont des équipes dédiées qui bossent, ils ont recruté des gens de très grande qualité. En France, on n’a pas encore une équipe dédiée au foot féminin à la fédération et donc la création d’une ligue professionnelle sera l’élément déclencheur, parce qu’à partir de là, vous êtes obligés d’avoir une personnification, une direction de la ligue, ça veut dire qu’il y a quelqu’un qui bosse à plein temps dessus, qui va structurer ses équipes et donc des gens qui vont penser du matin au soir "foot féminin professionnel." C’est cela qui change tout pour moi.

Vous êtes quand même optimiste ?

Je suis hyper optimiste. Tous les éléments démontrent que le foot féminin est le segment de l’industrie qui va avoir la plus forte croissance dans les dix prochaines années, il y a beaucoup d’évènements, il y a les coupes du monde, les jeux olympiques, etc. Il n’y a aucune raison que la France n’y arrive pas et je pense que, sous l’impulsion des clubs notamment, la fédération va avancer à grands pas, après avoir pris peut-être du retard. Je vois une volonté et une ambition chez certains, comme Jean-Michel Aulas parce que c’est lui, qui, depuis le début, est très engagé. Il est capable de faire bouger les lignes et je suis vraiment certaine que la fédération (FFF) a envie d’avancer aussi sur le football féminin.

5 commentaires
  1. JUNi DU 36
    JUNi DU 36 - sam 11 Fév 23 à 10 h 07

    J'aime bien en grande partie son discours.
    En effet une ligue féminine est en bonne voie, il est vraiment temps que ça se mette en route, ce n'est plus possible d'avoir à faire à tous ces vieux c.ns machistes harceleurs et antifeministes de la fédé.

  2. Avatar
    Poupette38 - sam 11 Fév 23 à 12 h 12

    Article intéressant pour moi aussi .
    Je n'arrive pas à comprendre que les clubs majeurs masculins n'ait pas une équipe féminine de haut niveau comme l'OL et le psg, .... marseille, monaco, Lille, Lens, Rennes Nice, Nantes.... ils devraient être incités (obligés) à le faire .
    C'est ce qui se passe en Angleterre, en Espagne et en Italie, qui s'améliorent .
    En France, on a Soyaux, Rodez (et leurs terrains pourris) Dijon, Guingamp, Le Havre ......
    JMA a mis beaucoup d'argent pour son équipe féminine et son Académie .
    Il aurait pu négliger ça, lui aussi et mettre plus de "fric" dans l'équipe pro .
    Heureusement qu'il y avait l'Académie pour notre entrée au Groupama, alors qu'il n'y avait plus d'argent, pour rester sur le podium .

    1. knoumkoufou
      knoumkoufou - sam 11 Fév 23 à 13 h 42

      Bordeaux est le parfait exemple qui "vend" ses joueuses aussi pour payer les dettes masculines. Le type à sa tête n' a rien fait pour les féminines du LOSC, pourquoi s' emmerderait-il avec les bordelaises ? Depuis 2019 la FFF s' est contenté de pondre un texte obligeant les clubs d' avoir une section féminine en se fichant de la réalité des clubs côté infrastructure (terrain, vestiaires, sponsors, équipement) et de leur rentabilité financière. Qui gagne de l' argent avec ses féminines ?

      1. isabielle
        isabielle - sam 11 Fév 23 à 14 h 49

        La fff ..... je met en minuscule, parce qu'ils ne méritent rien d'autre, vu leur manque d'implication et toutes les lâchetés qui ont suivi leur discours... la fff est administrée par des escrocs. Point
        Depuis 5 ans (juste avant la CDM en France) les discours concernant le foot féminin se suivent est les inactions aussi : c'est lamentable !
        Le jour où, seul un championnat d'Europe (comparable à celui des USA) sera la vitrine du foot féminin, nos instances iront pleurer parce que seuls 2 clubs français auront le niveau !

  3. isabielle
    isabielle - sam 11 Fév 23 à 16 h 46

    Bon revenons à du concret.
    1- Cet article est très intéressant et démontre qu'avec passion et professionnalisme la progression du foot féminin peut-être une réalité économique assez rapide..... surtout aux USA, mais chez nous aussi si l'on s'en donne la peine. 🤑
    2- Les personnes qui dénigrent le spectacle à tour de bras ne sont pas les bienvenus dans les stades, il faut donc approcher des fans autres que ceux du foot masculin, pour le foot féminin..... sauf pour quelques exceptions, qui - à mon sens - sont déjà fans des 2. 😍
    3- Les médias (surtout en France) ne s'intéressent pas (ou très peu) aux performances des filles, c'est un fait.... alors les filles se sont donc chargé de la communication via les RS. Elles se sont approprié leur sport en quelque sorte.... ce qui semble tout à fait légitime, et fera grincer les dents (pour ceux qui en ont encore) des vieux misogynes de nos rédactions sportives sclérosées. 😊
    4- Bel optimisme de Sophie Sauvage qui s'exprime sans langue de bois (au states c'est nécessaire pour réussir), qui valorise la clairvoyance de JMA.... mais qui reste seule à vouloir agir face à nos enclumes de présidents de club et aux (non) décideurs de notre fédé féodale ! 😒
    Cette personne est peu médiatisée chez nous, dommage !.... en tout cas elle a tout mon soutien. 👍

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