Dans le mensuel Lyon Capitale de cet été (juillet - août 2015), l'agent de joueurs Frédéric Guerra, qui gère notamment les intérêts du capitaine de l’OL, Maxime Gonalons, dévoile les dessous d’une bonne négociation avec un club de football.
Comment se déroulent les négociations dans le cadre d’une prolongation de contrat ?
Frédéric Guerra : Une prolongation de contrat se négocie souvent une année et demie avant la fin du contrat, lorsque le club souhaite garder le joueur. Car, s’il n’est pas intéressé, il n’y a pas de négociation.
Lorsqu’un de vos joueurs souhaite quitter un club, de quelle manière procédez-vous ?
Le premier avis dont je tiens compte, c’est celui du joueur : “Je ne me sens plus bien, j’ai envie de changer…” Il se peut aussi qu’un joueur soit demandé par un très grand club. C’était le cas de Mahamadou Diarra [milieu de terrain défensif de l’OL de 2002 à 2006, NdlR] : le Real Madrid le voulait, il s’agissait d’une belle promotion. Il faut toujours évaluer les clubs. Par exemple, en France, le club numéro un, c’est le PSG. Mais, pour faire un saut de Lyon au PSG, c’est compliqué. Ce n’est pas impossible, mais il faut regarder le temps de jeu… C’est très compliqué, un transfert. C’est le temps de jeu qui prime pour 90 % des joueurs. Pour d’autres, c’est l’argent, ou le fait de quitter une ville. Un transfert, ça peut cacher beaucoup de choses. L’objectif, me concernant, c’est de tenir compte de l’avis de mon joueur et de me tenir proche de la réalité du marché européen.
C’est le club qui enclenche les renégociations ?
C’est le cas très souvent. Si vous voulez faire un deal gagnant pour le joueur, il faut que ce soit le club, il faut qu’il soit demandeur. C’est comme sur tous les marchés. Plus il y a des actions, moins elles sont chères, plus elles sont rares, plus elles sont chères. Il faut simplement tenir compte du demandeur.
Quid du joueur qui arrive en fin de contrat ?
Cela dépend de la stratégie du dossier, de chacune des personnes intervenantes. Personnellement, je n’ai jamais fait de course au chantage. Alors, après, il y a des agents qui disent : “Je vous préviens, si vous donnez pas ça, dans six mois on est libre et on part.” Mais, appliquer cette règle, c’est se mettre à l’envers avec le club. Il ne faut pas mettre le club dans l’inconfort. Ce sont des choses qui peuvent ressortir. C’est comme les histoires de conquête, la condition n’existe pas. Il faut se respecter. Moi, je ne m’en sers pas. C’est une question de morale ? Obligatoirement. Le mec qui dit “Je vais faire du bien sinon Dieu va me faire du mal”, en fait, il se trompe, Dieu ne va rien lui faire. C’est à force de faire du mal que tout le monde va se couper de lui. Il y a un réseau qui s’installe. À un moment donné, vous voyagez dans une société qui a ses règles ; si vous vous mettez hors règles, vous serez hors circuit dans pas longtemps.
Comment négocier une hausse de salaire ?
Le salaire d’un joueur, on l’évalue par rapport à ce qu’il a montré et ce que l’on imagine pour les 100, 200 prochains matchs. Donc, ce sujet-là, il faut le défendre. Le président [J-M. Aulas] dit à chaque fois : “Vous vous rendez compte, vous demandez beaucoup pour ce qu’il a montré.” Moi, je demande beaucoup par rapport à son âge, ce qu’il a montré, ce qu’il va démontrer et le prix que j’estime qu’il commence à avoir. S’il transfère un mec 10 millions d’euros, je ne peux pas lui demander 20 000 euros par mois, il faut plus. Le plus dur, c’est de mettre en équilibre ce passage difficile où il commence à être titulaire, avec de véritables repères de haut niveau. Il faut essayer d’imaginer plus tard et c’est cette négociation qui est difficile. Ce n’est pas quand il est à 300 000 euros que c’est difficile. Parce que, quand ils sont à des salaires importants, la renégociation varie de 5 %, pas plus. Mais il y a des clauses dans les contrats, il faut trouver des accords avec le club. C’est le contenu du contrat qui va changer ensuite, mais pas trop l’argent. Mais le contenu, c’est les clauses, et tout ça change. C’est cette stratégie qui change. Ils y vont seuls parce qu’ils pensent que l’on ne va renégocier que le salaire. Un agent qui se respecte, si un nouveau contrat d’un homme de 24 ans l’emmène jusqu’à 27 ans, il sait qu’il faut prévoir ce qu’il va se passer à 25 ans. C’est ce moment qui est important, à quel prix on sort, dans quelles conditions ? Le salaire, ce n’est que de la continuité, à quelque chose près.
Il y a dix ans, un jeune pro à l’OL pouvait gagner lors de sa première signature 10 000 euros par mois. Ce n’est plus le cas aujourd’hui…
Prenons l’exemple de Nabil Fekir. Lui n’a pas effectué toute sa formation à l’OL. Du coup, Lyon a intérêt à le prolonger, pour se protéger des attaques extérieures. Dans d’autres cas, comme celui de Grenier, on peut choisir d’offrir un contrat pro jeune. Clément Grenier avait signé professionnel à 17 ans. Ici, le but de l’OL est de le faire rentrer dans le monde des transferts, qui est réservé aux professionnels. Ainsi, le club peut exiger la somme qu’il veut. Les joueurs d’exception, on les fait signer le plus tôt possible. En tant qu’agent, vous devez gérer aussi les personnes qui veulent leur part du gâteau… Le football est en régression et il s’invente des cousins, des tontons, des oncles. Quand on regarde Florian Thauvin [joueur de l’OM de 2013 à 2015], c’est tonton Adil, un boucher, qui s’occupait de lui. Ce n’est pas un agent. On se souvient bien de son départ de Lille en 2013, monstrueusement montré du doigt. Ce n’est pas bon pour l’image. Les joueurs ne se rendent pas compte que, dans une société en crise, ils sont enviés, jalousés. Ils l’étaient déjà pour la notoriété. Aujourd’hui, ils le sont par des familles qui font la queue aux Restos du Cœur. Et ça, ils ne s’en rendent pas compte.
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C'est très instructif, merci Razik pour ces extraits choisis.
Personnellement, avec Guerra, j'ai toujours eu l'impression que c'était clair et précis.
Que ça soit dans ses déclarations ou dans les négociations (cf. le transfert à Naples de Gonalons il y a 2 ans).
Sa mécanique pour obtenir des prolongations et/ou augmentations est aussi très intéressante.
Malheureusement, je ne pense pas que Bernes ou Mendes possèdent la même mentalité.
une belle vision d'ensemble sur ce dur métier d'agent, bien plus compliqué qu'il n'y parait, en plus il est conseillé d'avoir de solides connaissance en droit international, au risque de faire n'importe quoi, et puis gérer un joueur ça doit pas être simple tout les jours vu le caractère de certains
Agent de joueur c'est un métier comme un autre avec des gens compétents d'autres moins, des gens honnêtes et d'autres moins. C'est aussi aux joueurs de bien savoir s'entourer et privilégier un pro (j'ai halluciné d'apprendre que thauvain était défendu par un boucher ....) Je rejoins Guerra quand il dit que si on veut durer dans ce métier il faut un minimum de déontologie et il semblerait qu'il en ai un peu... après, les sommes engagées sont tellement importantes que ce doit être facile de manipuler certains jeunes pour leur faire signer un contrat qui enrichira son agent au détriment de sa carrière.
Super interwiev de F. Guerra. Il nous éxplique mieux son travail et comment cela se passe pour les jeunes de L'OL qui sont ses clients.
Merci pour ce super article!
Article intéressant et instructif , dans ce cas on a affaire à un vrai agent sérieux et qui veut durer dans le temps en plus à Lyon y a du lourd avec le président qui est un vrai patron et c'est pas le cas partout .